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Parcours de qualification

Gaspard Franeau a bouclé ses 1000 milles en solitaire

Interview et Rapport de qualif du Mini-transateux belge

mardi 25 mars 2003Christophe Guigueno, Redaction SSS [Source RP]

Le jeune Belge Gaspard Franneau est le nouveau skipper de Zack,le mini n°109 que Pierre-Yves Moreau avait remis en état avant de le mener à la deuxième place de la Mini-Transat Mini-Transat #MiniTransat 1999. A sa barre, Gaspard entend participer à la prochaine Transat 650 en septembre prochain. Pour cela, il a effectué du 27 février au 14 mars 2003 les 1000 milles en solitaire imposés par le règlement de qualification pour la transatlantique. Interviewé par son service de communication Communication #Communication , Gaspard nous présente ensuite son Rapport de qualification intégral tel qu’il l’a transmis à la Classe Mini. Instructif !

Gaspard, te voici revenu de qualif’. Ces ’10 jours seul en mer’, est- ce que ce fut dur ?
- Je crois que tout le monde à peu près sait que les conditions en mer d’Irlande au mois de mars peuvent être, comment dire, exigeantes... Et bien, en réalité, ce fut bien pire ! Alors oui, ce fut dur et nous avons souffert Zack et moi. Mais c’est aussi la justification de ce parcours : apprendre à connaître son bateau et ses limites dans ce genre d’exercice. Nous sommes rentrés fatigués, mais fin heureux de l’avoir fait et ma foi bien fait !

Quels ont été les temps forts du parcours ?
- Sans aucune hésitation, ce fut cette tempête que nous avons subie en mer d’Irlande et en Manche durant 48 heures... je n’avais jamais vu ça auparavant ! Un force 8 comme on en fait plus ! Avec des déferlantes qui couchaient le bateau et balayaient le pont avec une violence telle que j’avais les pieds dans le vide au dessus de la mer lorsque le bateau était à l’horizontal !!! Je n’ai pu ni dormir ni manger durant toute la tempête, j’étais obligé de rester accroché à la barre afin de tenir le bateau sur sa route. Les embardées étaient furieuses et le speedo n’arrêtait pas de "décrocher". Ma seule crainte dans ce moment fut que quelque chose ne casse sur le bateau... mais Zack à tenu bon jusqu’au bout ! Je ne souhaite à personne de vivre cette situation, mais force m’est de constater que cela ne fait que renforcer mon expérience !

Cela avait l’air d’être impressionnant !
- Et ça l’était... je pense m’en souvenir longtemps ! Mais il y eu d’autres temps mémorables plus doux, heureusement comme cette première nuit magique où les dauphins m’ont accompagnés plusieurs heures. C’était magnifique car nos sillages laissaient dans la mer des traces phosphorescentes grâce aux planctons lumineux. J’imaginais la scène vue du ciel : cela devait ressembler à un ballet magique d’étoiles filantes, comme si le ciel et la mer échangeaient pour une fois leur rôle !

Un autre fut ce passage impressionnant sous le pont de l’île de Ré la nuit. Au dessus : les voitures filent en pleine lumière dans un sens ou dans un autre en vrombissant rangées sur les bandes. Au dessous : une route se trace au grès des vents en silence et dans l’obscurité. C’est deux mondes qui se croisent... Mais il y eu tellement de moments forts que je pourrais raconter...!

Concrètement, ce parcours te sert à quoi ?
- Il est obligatoire de le réaliser si on veut prendre le départ de la TRANSAT le 7 septembre, et comme les places sont comptées il est important de le réaliser le plus tôt possible. Sinon on se fait souffler la place ! Je suis donc plus tranquille maintenant. Et puis, en terme d’expérience, c’est important : manger, dormir, se motiver... ce sont des choses qui ne se font pas naturellement en mer et en solitaire, cela s’apprend. Et la qualif’ nous permet de nous jauger par rapport à cela.

Et tu te situes comment sur ce point de vue là ?
- Il y a toujours des progrès à faire dans ces domaines, bien sûr, mais aujourd’hui je pense trouver mon rythme de croisière : pour le sommeil, j’ai remarqué que je n’avais même pas besoin de réveil. Je me réveille automatiquement après 15 minutes, c’est assez pratique, je sors, je fais un tour d’horizon et si tout va bien, je repars pour 15 minutes et ainsi de suite ! Pour ce qui est de la nourriture, je commence à trouver les marques de produit qui me conviennent le mieux mais je ne bois pas encore assez.

Quant à la motivation, c’est vrai que c’est dur lorsqu’on se prend une tempête sur la tête. On peut descendre très bas moralement. Mais ça ne dure jamais très longtemps. Les compétitions de cette saison devraient nous apporter plus de réponses à propos de la concentration.

Prochaine étape ?
- La saison débute le 5 avril par l’Odyssée d’Ulysse en Méditerranée, une course magnifique de deux semaines entre la Corse, la Sardaigne, la Sicile et la Tunisie... sur les traces d’Ulysse, un grand marin lui aussi, s’il en est... Et puis toujours, la recherche de sponsors. Et ça, c’est peut-être plus dur encore que la tempête !!!

P.A. / http://www.gaspardfraneau.be.tf

Zack (le mini !) et Gaspard au départ de Lorient en février dernier
Photos : http://www.gaspardfraneau.be.tf

•Rapport de parcours de qualification
- Gaspard Franeau à bord de ZACK 109

Référent à terre : Laurent Tanguy.

Un premier départ fut pris de Lorient le 27/02 à 13h45. Nous avions décidé avec Olivier Servetaz et CASOAR de nous rejoindre au large de Lorient pour effectuer la parcours de conserve. Nous nous sommes retrouvé à 19h15 à l’W des Birvideaux et nous avons commencé notre progression vers le nord choisissant ce sens de parcours au vu des conditions météo qui nous donnaient un vent de secteur W à S pour quelques jours.

A 01h02, Casoar me signale une avarie de groupe électrogène et décide d’abandonner et de retourner à La Trinité pour réparer avant de prendre un autre départ... nous effectuerons donc le parcours seul... si on y arrive !

Vers les 08h00, au large d’Ouessant je décide de tirer un contre-bord vers l’Ile afin de pouvoir téléphoner pour donner de mes nouvelles à mon référent, Laurent et par là même à ma petite maman ! Bien mal m’en pris : alors que je m’approchai de Ouessant mon GPS tombe en panne. Je décide alors de m’arrêter à Douarnenez pour en racheter un mais il me faut alors faire demi-tour dans un 5-6 bien établi proche des cailloux de Ouessant et sans GPS. J’y arrive finalement avec l’aide du CROSS CORSEN par positionnement triangulation, radar ou d’autres bateaux. J’arrive à Douarnenez vers 01h00 le 01/03. A ce moment, je pense que cette étape sera alors mon escale technique autorisée et que je ne pourrais alors plus m’arrêter après. De toutes façons, je n’ai pas l’intention de m’arrêter plus que ça !!! (C’est ce que je pensais alors !). Le samedi et le dimanche, après m’être reposé (la nuit fut dure pour rejoindre DZ) je me trouve un GPS et je répare les quelques dégâts (basse-bastaque, réflecteur radar, hale-bas...).

Nous repartons le 03/03 à 08h00, je n’aurai pas vu les autorités portuaires pendant ce WE.

Cela se passe plutôt bien, la journée se passe au travers même si la visibilité est mauvaise. Le vent assez soutenu nous fait progresser assez vite sur notre route. Nous décidons de passer entre les Iles Scilly et Land’s End afin de pouvoir téléphoner et donner de nos nouvelles à Laurent (et à ma petite maman qui s’inquiète...).

Nous passons Wolf Rock le 04/03 à 04h45 et Seven Stones à 05h30. Le matin, les conditions étant toujours au travers mais plus faible et la bonne marche du pilote nous permet de faire une toilette intégrale (ça fait du bien !)... nous sommes prêt pour attaquer la mer d’Irlande jusqu’au Coningberg. Toujours travers mais plus fort... un bon 5-6 jusqu’au Coningberg que nous atteignons à 22h00... Ca gaze !!! Je prends une photo du phare de nuit... qui ne donne absolument rien, évidemment !

A ce moment, j’arrive à avoir un « weather forecast » des « Irish Costguards ». De ce que je comprends, ça va barder : « 6 maybe 7, increasing 8 during night from S to SW, with big waves..." Je prends donc la décision de nous protéger la nuit à Kilmore et de laisser passer la tempête... il ne sert à rien de prendre des risques en l’affrontant de face. Nous arrivons à Kilmore à 00h00, non sans avoir dérangé les costguards en nous étant échoué à l’entrée du port par marée basse (l’entrée est assez chaude !).

Nous repartons le lendemain une fois la tempête passée et après avoir plongé sous le bateau afin de vérifier s’il n’y avait pas de dommage après l’échouage de cette nuit. Nous avons pris la météo chez le maître de port autour d’un bon "tea time" Ils annoncent du vent de W modéré pour deux jours puis du S modéré, bref pas trop mal. Le ship du coin (et costguards à ses heures) m’offre quelques menus objets en souvenir de mon passage ("tea time"). Le "Harbour Constable" contresigne mon livre de bord ("tea time")... J’ai un contact avec la Classe Mini (Annabelle) qui me conseille d’annuler ma première étape Lorient - Douarnenez et de terminer ma qualif’ à DZ comme ça je ne grille pas toutes mes cartes dans le premier quart du parcours... bonne idée donc, le parcours sera : DZ - DZ.

Bref nous repartons à 18h30 de Kilmore par l’E du Coningberg (vu que nous sommes venu par l’W, nous en avons donc bien fait le tour même si nous ne l’avons vu que de nuit). Tout se passe relativement bien la première nuit (05/03) et le deuxième jour (06/03), j’essaie de faire un point sextant ce jour (la première fois que je vois le soleil) mais je me trompe stupidement dans les heures de visée. Dans la nuit du 06/03 ça se gâte : la météo devient impressionnante et les conditions proches de la survie. Elles le seront durant 48 heures.

Nous recevons sur la tête ce que j’imagine être un 8 avec une mer grosse à très grosse, des déferlantes, des grains dans lesquels le vent forcit encore. Au NW des Scilly, je nous mets même à la cape à sec de toile durant trois heures car je ne contrôle plus le bateau, je balance des messages "sécurité" à la VHF pour que les cargos dans le coin fassent attention à mon frêle esquif à la dérive... Je remets un peu de toile vers la fin de nuit afin de reprendre ma route tant bien que mal. M’étant décalé dans l’W grâce à la cape et à un contre-bord nous pouvons faire une route directe sur Ouessant au près bon plein, mais je ne peux plus lâcher la barre, les conditions étant toujours extrêmes, toujours 8.

Dans la Manche les grains se succèdent à intervalles régulier et c’est quasiment la nuit pendant ces périodes ne laissant que peu de temps entre deux pour récupérer (!), le bateau se couche régulièrement... quelques ennuis technos arrivent : une basse bastaque lâche, une bosse de ris aussi, voile explosée, l’électricité bat de l’aile et les instruments de nav s’éteignent les uns après les autres au fur et à mesure de la progression vers Ouessant, je remarquerai après que la lisse de pied de mât est en train d’éclater sous les envolées que fait le bateau, les chocs lorsqu’il retombe dans les vagues sont vraiment impressionnants. Je n’ai pas l’impression d’avoir peur pendant cette traversée mais j’ai une certaine angoisse de voir si le bateau va tenir...

Remplir le livre de bord dans ces moments est impossible ainsi que se faire à manger ou quoique ce soit d’autre... je reste accroché à la barre à l’extérieur. Nous arrivons dans le rail d’Ouessant vers les 22h00 alors que les conditions se sont légèrement calmées mais sans électricité ce qui fait que je ne peux toujours pas rentrer dans le bateau. Je décide de faire escale à Douarnenez pour réparer les dégâts causés dans la tempête, continuer dans cet état technologique, physique et moral serait folie et contraire à la sécurité. Nous y arriverons le 08/03 à 13h00.

L’expérience que nous venons de vivre restera pour moi comme une grande leçon de limite technologique, physique et moral. Je ne peux m’empêcher de penser que même si je ne souhaite à personne de vivre cela, force m’est de constater que cela m’a apporté une grande expérience. Le samedi après midi dès l’arrivée est utilisé à réunir le matériel pour les réparations qui se feront le lendemain dimanche 09/03 jusqu’au soir. Je décide de repartir sans tarder le lendemain 10/03 pour ne pas "casser" le rythme et parce que c’est ma deuxième étape (la première était pour raison météo, celle-ci pour raison techno).

Le 10/03 à 11h00, je repars de DZ sans avoir vu les autorités portuaires (mais où sont-ils ? Qui sont-ils ?)... Mais ce n’est que pour faire 1 mille, je me rends de suite compte que mon groupe élec ne fonctionne plus... Stupéfaction car il fonctionnait à mon arrivée samedi !!! Demi tour et course contre la montre pour rentrer et trouver un mécano capable de le réparer avant le soir 18h30 car je désire rester dans un créneau de 72 heures d’arrêt en étapes cumulées comme il est stipulé dans le guide mini (ce n’est pas tout à fait cela qu’il y est indiqué mais c’est en tout cas ce que je pensais à ce moment). Nous y arrivons finalement et le départ est cette fois bien donné à 19h20, nous aurons fait deux étapes pour un total d’heures de 72 heures 50. La nuit se passe plutôt bien, mais tout au près dans du 5-6... cela ressemble à des vacances après ce que nous venons de vivre !

Le 11/03 : rien. La descente vers L’Ile de Ré se passe bien, je mange, je dors, je fais ma toilette, je vois le soleil une fois mais trop tard dans la journée pour faire un point sextant.

Le 12/03 : je me trompe dans mon plan de nav et je fais des milles en trop, je voulais faire le tour de L’Ile de Ré par le sud en passant par Rochebonne avant... un moment de lucidité me fait comprendre que le mieux est de faire l’inverse ! tant pis pour la route donc je change... rien ne presse. Le groupe élec est retombé en panne la nuit du 11 au 12 donc maintenant je barre le plus possible pour économiser l’électricité. J’éteins le loch aussi pour économiser toujours et le pilote ne sert vraiment plus qu’au rares moments où je décide de dormir. Le remplissage du livre de bord s’en ressent donc mais il me semble plus important de conserver de l’électricité le plus longtemps possible plutôt que de passer mon temps dans les écritures.

Nous arrivons à L’Ile de Ré par le N (Phare des Baleines) le 12/03, à 22h00 nous passons sous le pont... de nuit c’est vraiment impressionnant !!! Des photos ont été prises du phare des baleines mais de loin on ne voit pas grand chose, quant au pont de nuit les photos n’ont rien données...

Direction le Plateau de Rochebonne pour en faire le tour, nous le doublons à 06h00 le 13/03.

La remontée vers DZ se fait d’une traite sur un bord, en barrant le plus possible (question d’élec toujours), je n’ai donc pas le temps de faire de point sextant, malgré que le temps s’y prêta. Le 14/03 à 03h00, nous doublons Eckmuhl et la pointe de Penmarch’, 4 heures après c’est au tour du Raz de Sein d’être "avalé"... Ca sent l’écurie !!!

Le 14/03 à 13h00, j’amarre ZACK au ponton de Douarnenez. Mais Où sont ces fichues autorités portuaires ??? Je n’aurai donc toujours pas de tampon du port ! Ma petite maman est enfin rassurée...

En conclusion :

Ce parcours de qualification fut pour moi l’occasion d’acquérir de l’expérience sur la navigation en solitaire sur une longue durée. Les enseignements furent riches et nombreux sur moi-même. S’il m’apparaît que la partie technique ne m’a pas posé de sérieux problèmes, je retire beaucoup plus d’enseignements sur la gestion de l’endurance sur un long parcours : manger, dormir, se motiver, se soigner... Je pense avoir pu cerner les problèmes majeurs et les axes de travail pour aborder la transat sereinement, c’est certainement là que réside le succès de ce genre d’entreprise. La tempête de 48h en Manche et Irlande aura été une épreuve tout aussi édifiante : qu’elles sont les limites du bateau et les miennes dans ces situations, la gestion du calme est primordiale et je pense en avoir fait preuve, à aucun moment il n’y eu de panique.

Les problèmes technologiques auront je pense été traités au mieux. Reste que le manque d’électricité à bord est un problème dont j’ai pu mesurer l’ampleur et que je m’attellerai à résoudre. Le journal de bord en a souffert et je n’ai pas pu faire de point sextant. Pour ce dernier point, j’en réaliserai donc dès la première course afin de terminer de valider ce dossier.

Je me rends bien compte qu’il n’y a pas beaucoup de photos de mes passages, mais ce fut le plus souvent de nuit, je laisse bien évidemment mon GPS et son tracé à votre disposition si vous estimiez les preuves de passages insuffisantes.

Les deux étapes que nous avons effectuées ont été décidées dans un souci de sagesse et de sécurité tout en respectant le cahier des charges de la qualif’... même si j’aurai préféré réaliser le parcours d’une traite, il ne sert à rien d’aller au "carton". Je remercie la Classe Mini pour son accompagnement des coureurs vers leurs objectifs sportifs.

Je remercie tout spécialement les personnes qui ont rendu possible notre départ en qualification, elles sont nombreuses... et précieuses...

Lorient, le 18 mars 2003.

Gaspard Franeau

http://www.gaspardfraneau.be.tf



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