Ils le craignaient. La météo l’a fait ! Evidemment, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Dominique Wavre (Temenos) aurait tort de ne pas se réjouir du coup de Trafalgar (cap à l’entrée du détroit de Gibraltar) que la météo est en train de jouer aux premiers. « C’est sûr qu’on est plutôt content de ce qui se passe. J’imagine que Bilou ne doit pas penser la même chose, raconte le skipper suisse. J’ai passé cinq fois le détroit avec ce bateau, et les conditions étaient toujours différentes. C’est assez instructif, mais on ne peut pas en tirer de généralités. »

De l’autre côté du plan d’eau, le leader n’a d’autre solution que de rester concentrer pour tenter de limiter la perte d’une avance durement acquise. « Il n’y a pas trop d’inquiétude pour l’instant, explique Gaël Le Cléac’h, qui s’occupe de la navigation à bord de Sill Plein Fruit. Mais cela va être délicat pour les nerfs, car les fichiers météo changent tout le temps. En Méditerranée, c’est difficile d’être fiable au-delà de 48 heures. A par moi, ça fume beaucoup à bord ! » En quelques heures ce matin, les cinq navigateurs de Sill Plein Fruit ont déployé toute une partie de la belle garde-robe du monocoque. Solent. Code 0. Petit gennaker. Spi. A nouveau gennaker. Et on peut imaginer que le nombre de va-et-vient sur la plage avant s’est amplifié avec cette météo toujours plus incertaine.

Le « cinq majeur » de la journée est l’équipage de Bobst Group-Armor Lux. 4^e vendredi matin à 5h00, ils se sont emparés de la 2^e place sur les coups de 13h00 en doublant Kingfisher et Tiscali par le nord. Le skipper suisse-bigouden apprécie son option. « C’est sûr que ça aide à sourire. On a serré le vent toute la nuit pour rester assez haut (c’est-à-dire au nord) par rapport aux deux autres. Je suis souvent passé dans le détroit de Gibraltar, mais c’est jamais pareil. Alors on va y rentrer, et improviser ! » Kingfisher et Tiscali ont assisté – résignés - au retour de Bobst Group-Armor Lux. « Il était 16 milles derrière ce matin, explique Bruno Dubois, l’équipier belge de Kingfisher. Le vent est rentré par le nord-ouest et Stamm est passé à notre nez et à notre barbe juste au-dessus. » Le bateau anglais et le monocoque italien ne se quitte plus depuis plusieurs jours. A 15h00, ils n’étaient séparés que de 0,2 milles ! Mais pas le temps de discuter. Surtout qu’avec six nationalités différentes pour dix équipiers, ils ne sauraient même plus dans quelle langue se parler.

Avant le départ de cette seconde étape, Yannick Bestaven expliquait que la langue du bord sur Tiscali était celle de Molière. « Les trois italiens parlent bien français. Mais dès que les manœuvres deviennent un peu chaudes, c’est l’italien qui reprend le dessus ! » Et des manœuvres, il n’en manque pas. « A chaque virement de bord, il faut tout basculer. Voiles. Caisses. Quilles » ajoute Bruno Dubois. La position des poids dans le bateau est primordiale dans le petit temps.

Pessimisme du côté de Virbac. « Il est peu probable qu’on arrive jusqu’à Gênes, explique Laurent Delage. On envisage un arrêt au stand à Barcelone ou Marseille pour démâter et réparer le rail de mât cassé. On avance encore lorsqu’on est au près avec plus de 10 nœuds de vent. Mais dès que ça mollit un peu, c’est le drame complet. Ça tape et on stoppe le bateau. » Et malgré tout, les hommes de Jean-Pierre Dick arrivent encore à contenir le retour de Temenos. Chapeau !

Loïc Le Bras

Ils ont dit :

Bruno Dubois (Kingfisher) : « Sill Plein Fruit doit nous attendre, et nous on va attendre les autres de derrière. On va recommencer à zéro. C’est une nouvelle course à partir de Gibraltar. »

Dominique Wavre (Temenos) : « Ce qui s’est passé dans la première étape nous a rendu plus joueur. C’est pour ça qu’on a tiré au ras du Maroc au début, puis loin au large ensuite. Après le détroit tout est encore possible. Il y a des skippers assez trempés pour aller dans tous les coins. C’est maintenant que notre mât plus grand peut être intéressant. »

Simone Bianchetti (Tiscali) : « Psychologiquement, il n’y a pas de souci. En Italie, on passe beaucoup de temps à régater dans le petit temps. Il ne faut rien lâcher, car Bobst Group-Armor Lux est plus léger, et Kingfisher a moins de surface mouillée. »

Laurent Delage (Virbac) : « Ça va pas être facile, avec les petits airs en perspective. On est pénalisé au portant et dans les petits airs. Mais on fait un max pour faire marcher le bateau tant qu’il y a du vent. »

Gaël Le Cléac’h (Sill Plein Fruit) : « Déjà, notre souci est de rentrer en Méditerranée. Alors, l’Italie… Les fichiers météo changent tous les jours. La fin de nuit fut laborieuse. On a eu une grosse molle au nord de Tanger. On s’abrite du courant qui est dans le mauvais sens, et attendons la renverse le long du Maroc. »