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Open 60

Antoine Koch touche au Cap

Chronique des deux Bienheureux de l’Espérance

jeudi 23 janvier 2003Christophe Guigueno

Le skipper de L’Imprononçable et son équipier sont arrivés dimanche en Afrique du Sud. Ils ont mené leur monocoque de 18 mètres de long de la Guadeloupe (arrivée de la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum qu’Antoine a terminée à la cinquième place) à la ville de Le Cap. Il leur aura fallu un bon mois de navigation pour rejoindre le grand Sud qui faisait rêver Antoine. Après un retour en France, le vainqueur de la première étape du dernier Figaro retrouvera son voilier pour des premières navigations entre les 40e rugissants et les 50e hurlants afin de goûter aux sensations qui l’attendent quand il participera au Vendée Globe...

Suite et fin de la chronique des deux Bienheureux de l’Espérance.


• 14 janvier : "Dépression, gerbe et réveil"

- Eric : "Youpi ! Il ne faut peut-être pas crier victoire, mais bon, j’vous l’dis quand même... On a du vent ! On a empanné hier à 16h48 TU, pour aller chercher notre dépression. On a fait cap plein sud... rien de tel pour descendre. A 22h, le vent avait commencé à monter, on était à 10 nds. Le vent n’a pas molli pendant mon quart... ni après et il refusait, donc on faisait de plus en plus de sud-sud-est... cool. A 6h ce matin, fin de mon quart, on allait à 13 noeuds au sud-est.

6h00, quart d’Antoine... en principe jusqu’à 9h00. A 7h30, il me réveille, avec une excuse bidon dans la poche... "viens voir, c’est joli, le sillage... y’a une gerbe d’un mètre derrière le safran... pardon, j’te réveille pas au moins ? Tu dormais, j’avais pas vu !"... me v’là sur le pont, les yeux fermés et la tête dans mon rêve de côte de boeuf au barbecue. Pour constater que, une fois le bateau ralenti vent arrière, puis retour au largue plein pot, ben la gerbe avait disparue, "j’te jure, y devait y avoir quelque chose dans le safran, la gerbe faisait au moins ça..." en faisant un écart entre ses deux mains d’un mètre cinquante. "oh, pardon, ben tu peux aller te recoucher, merci." Et voilà, depuis, je me suis pas recouché... Il est 9h et je voulais absolument vous tenir informé de cette histoire Histoire #histoire .

Donc voilà, ça avance pas mal, pointes à 18 nds, vitesse Vitesse #speedsailing moyenne au fond : un peu plus de 13 nds... ça fait vraiment du bien d’avancer, on apprécie d’autant plus, le sourire revient, bref on est contents.

Logiquement, on reste tribord amure jusqu’au 16.01, le vent va tourner de plus en plus sud.

En symétrie par rapport à l’équateur, on est 200M à l’Est d’Essaouira, au Maroc. Ce qui fait en gros la longitude de Falmouth en Angleterre. Ca nous donne pas grand chose, mais je passe du temps à rêver devant les cartes, alors je vous en fais profiter. Antoine a pris la barre, ça va beaucoup plus vite qu’avec le pilote, mais ça remue beaucoup, j’suis obligé de viser les touches de l’ordi en fermant un oeil. Bon, je vais aller me faire bronzer sur le pont supérieur, y paraît que de l’eau arrive jusque dans le cockpit... ça fait 15 jours que ce n’est pas arrivé, c’est l’attraction du coin. "

Antoine : "Que dire de plus ? A part que les plans Finot ont un gros sillage et poussent de l’eau. Et que quand le safran vibre (et qu’il y a un sac en plastique ou des algues dessus) ça fait de grosses gerbes derrière le bateau, dès qu’on dépasse 13 Nds. Sinon, l’ETA se précise, puisqu’on devrait avoir des conditions régulières jusqu’à l’arrivée. Mais, Eric n’étant pas superstitieux, il préfère ne pas communiquer de date.

Concernant la marche du bateau, planer de nouveau nous fait juste songer au fait qu’un bateau d’une tonne de moins planerait plus vite..."

- Eric : "j’ai pris la barre, je suis allé à 19.80 noeuds et je n’ai pas vu de gerbe. Preuve qu’il m’a réveillé pour m’embêter. Le vent est monté un peu, ce n’est que plus amusant à barrer."

- Position : 32°52S 4°16W au 100° à 14nds.

• 15 janvier : "Runaway train"

Eric : "J’ai une mauvaise nouvelle : si ça continue comme ça, on va plus vous raconter nos p’tites histoires longtemps !!! Ben ouais... le Grand Sud nous a envoûté, Antoine était impatient de le voir, on le touche du petit orteil. Hier, la température est tombée à 22°, et 22.2° pour la mer. On est loin de nos 30°... Et le vent, au top ! Comme dit mon Beauf, on est plus sur une planche de surf Surf #Surf que sur un voilier... Pour une nuit plus tranquille, on est passé sous génois hier soir, puis on a pris 1 ris dans GV à 1h du matin... Mais bon, la bête était lancée... Pointes à 23-24nds sous pilote, longs surfs, ça fume devant, ça mouille, ça remue comme c’est pas permis... Et moi j’adore ça ! Antoine aussi je suppose, mais il barre et ça se sent beaucoup à la table à carte. Le GPS monte régulièrement à 20nds, on avale du mille. Et devinez quoi ? Je vous le donne en mille (ok, c’est facile)... On est à moins de 1000 miles du Cap ! On a franchi la barre à 4h05. On tient une moyenne de 14nds en rapprochement au GPS. On a fait 340M ces derniers 24h. Ce n’est plus l’Evasion 32 de l’autre jour !

Voilà. Vous attendez l’anecdote du jour ? C’est pas facile à dire, c’est moi qui ait fait la bêtise ! Vous savez que pour refroidir le moteur, on a bricolé un truc avec une pompe de ballast, on remplit le ballast AV bâbord et en route. Hier soir, j’ouvre l’écope pour remplir le ballast, comme d’habitude. Je reviens 15min plus tard pour la fermer, ballast plein. Mais j’avais pas vérifié que la vanne de transfert des ballasts (il y a son frère à tribord) était fermée, j’ai donc rempli les deux ballasts (2 fois 1800L). Et le pire, c’est que la trappe du ballast tribord n’était pas fermée, j’ai donc rempli la soute à voile en même temps !!! Hi, hi ! 4 tonnes d’eau dans la soute, au largue, ben ça avance moins bien (Antoine trouvait que le bateau ralentissait !). La soute est propre ! On a vidé ça jusqu’à 22h30. Faut bien faire des blagues, non ?

Bon, je vous laisse. Une pensée à ceux qui bossent dans le froid, la pluie, le gris... Sachez qu’on a moins chaud, que c’est humide et quelques fois très mouillé, que c’est gris et que vous avez bien de la chance d’être au chaud dans un bureau, au sec et là ou ça remue pas !"

Antoine : "Le comble, c’est qu’il a fallu attendre le gris et le froid, pour qu’Eric à la peau mat et au teint bronzé attrape un coup de soleil. Et un magnifique avec ça. Il est tout rouge. A moins que ce ne soit la fierté de détenir le record Record #sailingrecord de vitesse Vitesse #speedsailing , avec 24,5 nds au speedo. C’est vrai, que ça va vite et que les milles défilent. Depuis le départ, quelle que soit l’allure, on pouvait laisser aller notre nature insatisfaite en imaginant des améliorations pour un bateau pas encore optimisé. Mais le largue dans la brise, il aime. Il va vite. Il va tout droit sous pilote (pas une des moindres qualités, pour un équipage réduit). Il n’enfourne pas, et il est sûr. Seulement, il mouille un peu. Alors, ça fait du bien d’aller lire un peu dans la descente. A l’abri. Et comme le pilote se débrouille très bien tout seul...

Autre info passionnante, on a découvert par hasard que quand on laissait les lyophals à hydrater pendant plus d’une minute, ils étaient nettement meilleurs. Mais on est toujours impatient de manger, alors attendre, c’est dur."

- Position à 12h19 tu 33°17’S et 00°44’E vit : 18 nds cap : 97° à 882M du Cap.

Depuis 4 jours, un oiseau noir de la taille d’un Fou nous suit. Ce n’est pas un merle, mais je ne vois pas ce que c’est. C’est pas un albatros non plus. Pour info, il a des plumes noires, un bec noir, des yeux noirs et il fait ses chiures sur le balcon avant ou sur le pont. Qu’est-ce que c’est comme volatile, est-ce que ça se mange et si oui, quelle recette ? Merci de contacter JP Coffe. Eric.

• 16 janvier : "Il est tant d’aubes qui n’ont pas encore luit"

- Antoine : "A 4 heures. A 4 heures, les premières lueurs de l’aube éclaircissent l’horizon. Dans un déchirement coloré, qui nous prend par surprise, alors qu’on ne s’y attend pas. Pas déjà. C’est la nuit noire, on descend à l’intérieur faire du café parce qu’il commence à geler. On fait pas attention. Et quand on remonte sur le pont, elle est là, l’aube qu’on attendait pas. Satisfaite du bon tour qu’elle nous a joué. C’est agréable en mer, les nuits courtes. On a juste le temps de profiter du spectacle de la lune et des étoiles, sans être fatigué. Je suis impatient d’aller dans le Grand Sud, par 60° de latitude, là où la nuit dure 4 heures, mais l’obscurité ne tombe jamais vraiment. Étrange paradoxe de ces sombres contrés. Et à propos de Grand Sud, on est pas sûr, mais on a vu un oiseau blanc et gris, qui planait au dessus de nous, et qui était un peu trop grand pour être un pigeon, un fou, une mouette ou un goéland. Alors oui, on est pas sûr, mais peut être qu’on en a vu un.

(Vastes oiseaux des mers, qui suivent, idoles compagnon de voyage, les navires glissant sur les gouffres amers,...)"

- Eric : "Si je vous dis qu’Antoine a avalé la collection de Baudelaire, vous me croyez ?

10h10 : après l’effort, le réconfort. Après la pluie, le beau temps... GV haute et génak, 10nds de vent, soleil, c’est sec dehors... on avance certes moins bien, mais a priori ce n’est qu’une pause. Après cette longue, superbe et grisante série de surfs ventée à souhait. Alors j’en ai profité pour tondre ma barbe. Astiquer la bouilloire pour faire un miroir, trouver un moyen de réveiller Antoine gentiment pour lui demander sa tondeuse... j’ai trouvé, je lui ai posé un poisson volant miniature (3cm) sur le visage, ça a pas loupé, il s’est réveillé... je lui ai préparé un café et offert un de nos derniers et très prisés paquet de Lu Petit Déjeuner Chocolat Céréale (un régal, essayez !). Il m’a prêté sa tondeuse. Je me suis installé dehors, la bouilloire sur les genoux, prêt à attaquer la broussaille... il y a eu des piles pendant 2min, c’est très élégant, à présent. C’est un peu forêt vierge avec des trous éparses.

Le vent faiblit, doit prendre de la droite pour finir nord-ouest puis forcir jusqu’à 20-25 noeuds... c’est ce que nous dit le fichier météo... puis du vent jusqu’à l’arrivée, prévue le 19.01 à (bip !) heure. Voilà, on vous tient au courant de l’évolution.

On a vu pas mal d’oiseaux, petits, moyens et grands. Il y en a plus qu’au nord, et de plusieurs races. Ils tournent soit autour du bateau, soit les uns derrière les autres, comme un ballet... très joli. Et les Albatros sont majestueux. Vous pouvez peut-être imaginer ce que c’est en regardant un goéland à 3 mètres de vous aux jumelles. Des ailes plus fines, plus allongées, 2m d’envergure au bas mot, un vol plané à n’en plus finir... ils maîtrisent parfaitement les éléments, c’est beau.

- Position de notre petit monde à 10h39TU : 33°53S 6°10E à 6-8nds au 130-140° (mais ça ne veux pas dire grand chose). A 600M du Cap. Eh oui, ça tourne ! C’est la longitude de Toulon et la latitude symétrique de Beyrouth (Liban)... ça vous avance beaucoup, non ?

Bon, bossez bien, pensez à nous, on en bave comme des esclaves et on aime ça ! Toujours 22° dehors et dans l’eau... ça caille sec ! Le poisson volant miniature est posé sur la table à carte et lit aussi le mail, il vous souhaite un bon appétit. Il est tout sec, je vais lui donné à boire, mais pas du rouge.

Bises aux femmes, amitiés aux autres

Antoine-Scarabée and Eric-Barbe-A-Trous in direct of the South Atlantic Ocean where life is que du bonheur

• 17 janvier : Bonne Espérance

The Cape of Good Hope... le fameux Cap. Eh bien détrompez-vous, ce n’est pas le Cap le plus Sud de l’Afrique. C’est le Cape Agulhas, moins romantique mais 20M plus au Sud...eh oui, il y a des fois où il vaut mieux rester dans nos rêves, nos films qu’on se fait de telle ou telle chose. Ca n’empêche pas qu’il restera une Bonne Espérance

Puis, plus tard : Réveillé à 6h30 avec café et fameux biscuits Lu, ça m’a mis de bonne humeur... le vent était monté, quelques départs limite au tas sous pilote... rien de bien méchant. GV et génak, ça avançait plutôt bien, mais on décide d’affaler le génak pour envoyer le génois, il y avait 30nds et on n’est pas en course, il faut savoir limiter l’usure... On roule devant, mais il (le gennak) ne se roule pas correctement (ah, ce foutu guindant soit-disant anti-torsion... je le maudit). Il fasseyait de plus en plus, commence à se déchirer, on décide d’affaler, mauvaise coordination, la drisse file d’un coup, le génak à l’eau, a moitié déroulée au milieu, une belle poche... Une heure plus tard, il a rejoint la soute, bien abîmé. On a affalé la GV, pour pas qu’il passe sous le bateau, essayé de faire marche arrière au moteur, mais évidement il a refusé de démarrer... bref, on a vaincu la bête puis renvoyé la GV 3 ris et trinquette, mis le pilote et on s’est fait un bon petit dèj’, puis sieste d’une heure.

Bilan : on n’est pas fier, mais on en tire une très bonne leçon et c’est en sciant que Léonard devint scie. Voilà le début de notre journée... Un Albatros nous regardait en rigolant, quand on récupérait la toile à l’eau... comme quoi, le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Depuis, on a empanné, on est bâbord amure, sous GV haute génois et trinquette, route au 45° à 13.5nds au fond au portant. Le vent doit prendre de la gauche, ce qui nous permettra de faire route directe. Entre temps, il a faiblit un peu, on doit avoir 20-25nds réel.

Notre collection de poissons volants tout secs s’agrandit, on a trouvé un beau spécimen de 5cm, bleu-gris. Il fait la causette avec son petit frère récupéré hier. On les loge sur la table à carte, bien calé entre les touches du clavier. Ils m’ont pas l’air malheureux, malgré leur rigidité exemplaire.

Le soleil tape à nouveau, il fait 30° dans la cellule vie, avec l’eau qui chauffe pour les nouilles-ail-huile d’olive prévues ce midi.

On a passé les 500M à 0h26. On tient le bon bout. Mais bon, avec le vent dans l’axe et des angles d’empannage important, on fait beaucoup plus de route qu’en direct.

Le moteur a démarré comme il faut un peu plus tard. Avec des mots doux et de la patience, on arrive à tout. La vie à bord a donc repris son train-train.

- Position à 14hTU : 35°31S 10°19E

Ca avance quand même ! On est à 410M du Cap de Bonne Espérance, derrière qui se cache Cape Town et ses Tables Montains.

- Au 45° à 13-15nds.

Information Magali Jousselin pour L’Héon...



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