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Bernard Stamm : "un petit résumé de l’étape, entre Cap Town et Taurangua"

Bilan suisse sur une nouvelle victoire en Nouvelle Zélande

lundi 20 janvier 2003Christophe Guigueno, Redaction SSS [Source RP]

Bernard Stamm, le skipper du monocoque Open Bobst Group - Armor Lux, a remporté les trois premières étapes de la course autour du monde en solitaire. Il dresse un bilan de cette troisième manche et nouvelle consécration d’un Suisse en Nouvelle Zélande. Chronique.

Bobst Group / Armor Lux a été mis au sec et en chantier pour réparer la délamination de sa coque sur tribord avant
Photo : Billy Black / Rivacom

"Tout d’abord et avec un peu de retard, j’espère que vous avez tous passé d’agréables fêtes de fin d’année et je vous adresse mes meilleurs voeux de bonheur et de santé pour l’année 2003. Pour moi, l’année a très bien commencé, puisse le vent continuer à souffler dans cette direction, pour nous tous.

En quelques phrases, voilà un petit résumé de l’étape, entre Cap Town et Taurangua.

Le départ s’est passé en demi-teinte. Dans la demi-heure qui a précédé le départ le vent était constant et assez fort. Avec mon équipe nous avons mis en place deux ris dans la grande voile et la trinquette, et juste dans les dix minutes de la procédure de départ, le vent a molli et c’était trop tard pour changer. Thierry Dubois et Graham Dalton avaient, pour leur part, établi la voilure adaptée à ces conditions et ont franchi les premiers la ligne de départ. Comme j’étais dans le dévent des autres bateaux, je n’ai pas tout de suite pu renvoyer de la toile parce que je risquais de ne pas passer la pointe d’un seul bord. Aussitôt que j’ai pu me dégager de ma mauvaise position, j’ai renvoyé toute la grande voile et changer la trinquette contre le solent. Comme le vent continuait à faiblir, Bobst Group Armor Lux s’est rapidement hissé en tête, alors que les concurrents tardaient à renvoyer de la toile. Ça, c’était la petite régate au contact que nous avons fait avant de passer le cap de Bonne Espérance et que chacun prenne la direction qui avait été choisie lors de la préparation de la route.

Il y avait plusieurs options. Soit longer la côte et se rapprocher de la route directe, ce qu’a fait Thierry Dubois. Soit mettre un peu de sud, sans trop s’éloigner de la route directe et quand même se rapprocher du vent d’ouest et des dépressions du sud. Ce qu’ont fait tous les autres concurrents. Et la dernière, c’était de faire cap au sud, quitte à faire jusqu’à du sud-sud-ouest pour aller chercher le plus vite possible le vent d’ouest des dépressions entre le 40 et le 55 ème sud, ce que j’ai fait. La dernière option était très pénalisante au niveau du classement pour les premiers jours mais correspondait à de l’investissement pour la suite du trajet.

Au bout de trois jours de course menée par Thierry Dubois nous avons touché les vents portants espérés et nous nous sommes rendu compte que deux options avaient fonctionnées puisque nous nous sommes trouvés, Thierry et moi, quasi au même endroit. Ça passait au sud et à terre, mais pas du tout au milieu. Persuadé de mon option, ce qu’a vu Thierry Dubois dans son analyse, je ne l’ai pas vu et je n’aurais pas osé prendre la route qu’il a prise. Du coup, nous nous sommes trouvés en tête, les deux, avec déjà une bonne avance sur les autres concurrents.

A ce moment l’organisation Organisation #organisation nous mettait en garde de l’arrivée d’une dépression très creuse et qui, en continuant de se creuser, allait dépasser la flotte des bateaux. Une fois encore, plusieurs solutions étaient possibles dans le choix de route. Soit de remonter très Nord pour éviter le gros du vent, soit de faire le gros dos et rester sur la route directe ou aller chercher le centre de la dépression pour profiter en premier de la bascule de vent au risque de prendre un maximum de vent à un moment donné.

Dans un premier temps, j’avais opté pour la dernière solution, mais à mesure que le temps avançait je me rendais compte que tous les autres remontaient au nord. A ce moment j’ai douté de mon analyse et je suis remonté une douzaine d’heures au nord, autant pour contrôler les adversaires que pour faire de la route et contrôler ma météo. Après ces douze heures que j’ai passées en grande partie à la table à carte, je n’avais toujours pas trouvé de raisons valables pour remonter au Nord et j’ai recommencé à suivre mon premier choix, qui s’est avéré payant parce qu’après le passage de la dépression, j’avais creusé l’écart sur Thierry.

Nous avions un premier passage obligé à respecter qui était l’île Heard, au sud des îles Kerguelen, à laisser au sud. Ce qui s’est fait naturellement puisque j’ai même passé au nord des Kerguelen. Ensuite le deuxième passage obligé était une « porte ». Nous devions nous trouver au moins une fois au nord du 46°ème Sud entre le 105e et le 120e Est, ce qui se trouve à peu près au sud-ouest de l’Australie. C’était un peu plus compliqué pour rejoindre cet endroit parce qu’à ce moment là, s’y trouvait un anticyclone qui m’a obligé à remonter le vent au près et pouvoir continuer ma route en direction de la Tasmanie.

Thierry avait alors 250 miles de retard mais comme une nouvelle dépression arrivait, il allait toucher le vent avant moi, être dans du vent plus fort que moi jusqu’à ce que je touche le même vent que lui. Comme il était remonté très au nord, il m’obligeait à le contrôler. Je me suis donc dirigé en ligne directe en direction de la Tasmanie pour fermer la porte. La dépression se déplaçait plus lentement que prévu et au sud direct de la Tasmanie, j’ai replongé au sud pour me placer de manière à négocier au mieux possible l’anticyclone qui était en mer de Tasmanie. C’était extrêmement important de faire au plus vite pour ne pas se faire prendre dans les calmes entre l’Australie et la Nouvelle Zélande, ce qui a bien marché et derrière moi l’anticyclone refermait le passage.

Ensuite, il ne restait plus qu‚à passer le cap Reinga au nord de la Nouvelle Zélande et redescendre sur Taurangua. Je pensais que ce ne serait qu’une formalité mais ma route allait croiser le chemin d’une dépression bien nerveuse qui a été très dure avec le bateau. Direct après le cap, le vent a commencé à forcir, de face, pour atteindre 45 noeuds. La mer s’est rapidement formée, est devenu très forte et croisée. Le problème était que l’espace entre les vagues a très peu augmenté et leur hauteur atteignait 7 à 8 mètres.

Comme j’avais 450 miles d’avance sur Thierry, j’ai essayé de sous toiler le bateau, de le surcharger et le moins pire était de lui mettre la voilure du temps, c’est à dire 3 ris et le foc de brise. La voile a commencé à se déchirer sous le 4e ris, ce qui m’a obligé à le prendre. Toutes les trente secondes, Bobst Group Armor Lux montait la vague et retombait avec force au creux de la suivante dans un bruit terrible. Des cales pied commencent à casser, le chariot qui sert à changer le matériel lourd de côté se casse et traverse le bateau. Impossible de tenir debout dans le bateau sans se cramponner à quelque chose et tout d’un coup le bateau se couche.

J’ai rapidement vu qu’il y avait un problème de barre. En arrivant dans le compartiment où se trouve le système de barre, je m’aperçois que la pièce qui maintient la fausse mèche et le couplage des safrans s’est arraché de la coque. Je suis resté un moment perplexe et impuissant, je ne voyais vraiment pas comment faire pour réparer, même provisoirement. Puis comme les safrans bougeaient brutalement et menaçaient de finir de tout casser, il fallait que je fasse quelque chose et très rapidement. J’ai percé, tout autour de cette pièce des petits trous pour pouvoir y mettre des vis, puis j’ai amarré le tout avec des petits bouts de vectran que j’ai fait en détoronnant un bout d’écoute de gennaker.

En fait, en essayant de maintenir le système en place pour éviter de tout casser, j’ai trouvé la solution pour pouvoir continuer ma route. Tout ça s’est passé au Nord de Great Barrier Island, c’est une île qui protège le golfe d’Hauraki sur son côté ouest. Pendant que j’étais dans le bateau à réparer la casse, il y avait Thierry Martinez, photographe de voile, qui survolait le bateau en hélicoptère. Quand ils sont arrivés, ils ont trouvé Bobst Group Armor Lux à la cape, dans une mer démontée, avec personne sur le pont. Je ne les ai pas entendus tout de suite à cause du vacarme ambiant, du coup, quand je suis apparu sur le pont, ils étaient carrément soulagés de voir qu’il restait quelqu’un à bord. Il aura plutôt fait des photos de gros temps et non de navigation.

J’ai pu remettre en route et dans la nuit, en tombant dans une vague, le bateau a dû tomber sur quelque chose qui flottait et la coque, sur tribord, au tiers avant, a commencé à se délaminer (voir photo). Enfin le vent daignait tourner et j’ai fini le reste du trajet au grand largue avec 4 ris, le petit foc et j’ai pu dérouler le solent pour en finir rapidement. La visibilité était vraiment réduite et j’ai vu la ligne d’arrivée juste à 100 mètres d’elle. Juste après la ligne, mon équipe et quelques personnes sont montées à bord et quand j’ai voulu mettre le bateau face au vent pour affaler la grande voile, la barre me reste dans les mains. Les acrobaties de la veille avaient déjà commencé à faire du dégât et la barre a fini de lâcher 50 mètres après l’arrivée. Nous avons fait les manoeuvres qu’il restait avec un mode spécial qu’il y a sur le pilote automatique qui ressemble un peu à la manière de diriger un cargo !!

Même avec ce temps de cochon, plusieurs bateaux étaient sortis m’accueillir, beaucoup de personnes se trouvaient sur les pontons pour souhaiter la bienvenue. Toutes ces personnes ont même attendu que j’aie retrouvé les papiers du bateau, attendus patiemment par le douanier et nécessaires pour me laisser descendre à terre.

L’accueil a vraiment été chaleureux et continue de l’être, nous logeons dans des familles d’accueil qui se mettent en quatre pour que nous ne manquions de rien. Depuis, Benoît et JC ont commencé les travaux de réparation, le bateau a été démâté et sorti de l’eau. Pour ma part j’ai été invité par le team Alinghi pour passer deux ou trois jours avec eux. Demain, dimanche, je vais attaquer le gros du travail, à savoir la réparation de la coque. Je vous enverrai deux ou trois lignes sur mon passage à Auckland et ensuite je vous tiendrai au courant de l’avancée des travaux.

A bientôt

Bernard"

Information RivaCom / http://www.bernard-stamm.com



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