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33e America’s Cup

Jeu de quilles sur la Coupe de l’America

Vers un match en multicoque fin 2008 ?

mardi 29 janvier 2008Christophe Guigueno

Quel sera le format de la prochaine Coupe de l’America ? On ne le sait toujours pas. Mais de deux choses l’une : soit elle se déroulera fin 2008 en multicoque de 90 pieds ; soit elle aura lieu en 2011 sur les nouveaux Class America de la même taille. Donc quille ou pas quille ? Telle est la question du moment.

Le juge Cahn n’a pas encore pris sa décision finale. Habilitée à prendre les décisions concernant le « Deed of Gift » qui régule les règles de la Coupe de l’America pour un match « amical » depuis 1851, la cour de New York a déjà invalidé le challenger of record Record #sailingrecord espagnol. A la suite de cette décision, le Golden Gate Yacht Club est devenu l’interlocuteur principal de la Société Nautique de Genève, club détenteur de la Coupe de l’America avec le team Alinghi. Mais voilà, dans sa proposition de challenge, le club américain a commis une erreur dans son copié-collé et laissé passer le mot « keel » (quille) devant le mot yacht. De quoi faire rebondir les Suisses !

On se souvient de l’incroyable édition de la Coupe de l’America 1988 quand les Néo-Zélandais affrontèrent les Américains avec un monocoque géant. Michael Fay, vexé par l’édition précédente, voulait affronter le New York Yacht Club en duel. Exit les autres challengers, il dépose alors un défi à l’équipe de Dennis Conner. La cour de New York le valide. Les Américains étudient le défi dans lequel les Kiwis ont défini un box-rule où s’inscrit leur bateau. Ce doit être un voilier de 90 pieds de long maximum ? Pas de souci, Conner demande à Gino Morelli, entre autres, de lui concevoir deux catamarans de 60 pieds. Ils infligent ainsi une humiliante double défaite à leur challenger et la Cup peut revenir sur ses base habituelles.

Mais cette fois-ci, ce sont les Américains qui ont été humiliés à Valencia où ils ont été éliminés en demi-finale des challengers. En parvenant à évincer le challenger espagnol pour quelques mots dans le Deed of Gift où il est précisé que le club challenger doit avoir organisé au moins une régate en mer, les voilà qui s’inspirent de Michael Fay. Et pour concevoir leur nouveau défi, ils ne font pas mieux que de faire un copier-coller du challenge Fay en y changeant les noms et la taille du bateau. Celui-ci fera 90 pieds de long, de large et de flottaison maximum. Mais ils ont oublié que les Néo-Zélandais avaient conçu leur attaque en faisant construire un méga monocoque à quille. Dans le texte, le bateau est alors défini comme un « keel boat », littéralement « un bateau à quille ». En deux mots : pas de keelboat, un quillard, mais bien un keel boat. Or, dès le début, les Américains veulent une Coupe en multicoque !

Un multicoque a-t-il une quille ?

Les Suisses qui ont perdu leur projet de Coupe en monocoque de 90 pieds disputée à Valencia en 2009 ont, cette fois-ci, lu mot pour mot le Deed of Gift et le texte du nouveau défi. Et ils n’ont pas laissé passer cette histoire Histoire #histoire de quille. C’est pour cela que la décision du juge Cahn est encore en délibéré. Les deux défis s’acharnent désormais à convaincre la cour de New York qu’un multicoque peut ou ne peut pas avoir de quille.

C’est ainsi que les Suisses ont fait intervenir leurs spécialistes. Dans des lettres adressées au juge, ces personnalités du yachting précisent qu’un multicoque ne peut pas être un bateau à quille même si, par définition, chaque coque a une quille. En effet, architecturalement, la quille est la partie inférieure et centrale de toute coque. C’est la pièce à partir de laquelle sont fixées les varangues. Cela remonte à l’époque de la construction des bateaux en bois comme les caravelles de Christophe Colomb. Et ces monocoques qui n’avaient pour appendice qu’un safran fixé sur le tableau arrière n’avaient pas de quille au sens architectural moderne et telles qu’on peut les voir sous les monocoques de course ou de croisière aujourd’hui…

Un avis intéressant dans la liste soumise par la SNG est celui de Nigel Irens. L’architecte du trimaran de Francis Joyon « dessine des bateaux, et des multicoques en particulier, depuis 1977 ». Voici quelques une de ses déclarations : « En 50 ans de carrière de navigateur, je n’ai jamais entendu parler d’un multicoque référencé en tant que bateau à quille ». « Un bateau à quille tient sa stabilité de ballasts alors qu’un multicoque ne possède en général pas de ballast et tient sa stabilité de sa largeur ». De son côté, Göran Marström, constructeur des catamarans olympiques Tornado, ajoute qu’un catamaran ne peut être un bateau à quille même si « dans les règles de classe des Tornado, le mot quille est employé pour référencer la courbe centrale de la coque ».

Si les témoins d’Alinghi / SNG signent sur l’honneur ne pas être rémunérés par les Suisses pour ces avis, l’Anglais Nigel Irens écrit quand même qu’il a été retenu par les Defenders comme consultant… pour dessiner un monocoque ? Non, forcément un multicoque, à savoir un voilier avec deux ou trois coques, chacune disposant d’une ligne de quille.

A quand la prochaine Cup ?

La 33e édition de la Coupe de l’America est donc toujours en suspens. En suspens de la décision du juge Cahn qui va considérer cette fois-ci si la description du bateau challenger est valide ou non. Cela va se jouer sur un mot, le mot quille devant le mot bateau. Tout comme cela s’est joué sur les mots « régate en mer » pour invalider le premier challenge déposé par les Espagnols.

Mais si on imagine mal un trimaran ou un catamaran avec une quille au sens voile fixe ou mobile avec un lest interne ou dans un bulbe (alors que cela s’est quand même déjà vu), on ne peut passer outre le fait que toute coque possède une quille. L’ISAF peut elle différencier quillard, multicoque, dériveur et planche à voile, comme le précisent encore les Suisses, on parle ici de quille et pas de quillard.

C’est en tout cas le juge Cahn qui va encore une fois trancher ! Mais en attendant, Les Suisses s’entraînent en catamaran Extrem 40 et font plancher Nigel Irens. Les Américains, de leur côté, bossent sans doute avec les Français du cabinet Van Peteghem & Lauriot Prévost qui ont conçu le catamaran monotype Monotype #sportboats de 70 pieds de la League lancée par Russell Coutts.

Tout semble donc bien lancé pour une 33e Coupe en multicoque fin 2008. Ce qui est bien tôt pour dessiner et construire un multicoque de 90 pieds. Les Suisses menés par Ernesto Bertarelli ne chercheraient-ils pas, finalement, qu’à gagner du temps sur les Américains menés par Larry Ellison ?

Ch.Guigueno


Plus d’info

- Les signatures des témoins suisses : lire ici.

- L’intéressant article de Richard Gladwell pour SailWorld.com : lire ici.

- La Chronologie judiciaire du côté américain : voir ici.



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