
Trophée Alain Colas
Francis Joyon : "J’ai l’impression d’être arrivé sur la lune !"
"Peut-être que j’ai eu le respect de la mer et … elle m’a laissé passer"
dimanche 20 janvier 2008 –
Quelques heures après son exploit planétaire en 57 jours, 13 heures, 34 minutes et 6 secondes, c’est un Francis Joyon fatigué mais souriant et détendu qui s’est plié à l’exercice de la conférence de presse d’après mer. Ovationné debout par 160 journalistes, le skipper du trimaran IDEC a de nouveau salué son « super bateau ». Extraits thématiques.

Les dernières heures du record
– « L’arrivée dans la nuit était un peu délicate. J’avais abordé le plateau continental avec une grosse densité de bateaux de pêche et j’ai été obligé de me dérouter deux fois pour éviter des bateaux : d’abord un bateau de pêche puis un cargo qui est passé seulement une dizaine de mètres derrière mon bateau. C’étaient encore des moments impressionnants. C’est relativement rare de devoir se dérouter comme cela, surtout deux fois en si peu de temps. »
L’accueil et la ferveur populaire à Brest
– « J’ai l’impression d’être arrivé sur la lune ! Arriver à Brest avec toute cette foule de gens, c’est une chose que je n’avais jamais connu auparavant. La ferveur et la chaleur des Brestois m’ont impressionné… »
Un résumé du parcours ?
– « C’est un peu difficile ! J’ai eu la chance de bénéficier d’un bateau qui permet de naviguer vite, longtemps et sur de grands trajets. Il faut imaginer un véliplanchiste qui ferait une glissade ininterrompue à travers les océans. L’indien a été très rapide. Dans le Pacifique j’ai du batailler un peu plus avec des phénomènes météo très complexes qui m’ont obligé à descendre très sud, avec une journée spéciale où j’ai vu 5 icebergs dans la même journée, ça commençait à être un peu inquiétant. J’avais du mal à voir les différences entre les crêtes de vagues et les glaces. Je suis passé assez rapidement au cap Horn et après, dans la remontée de l’Atlantique, j’ai découvert ce que c’était de s’arrêter. Puis, j’ai eu beaucoup de vent debout, auquel les trimarans ne sont pas vraiment adaptés. Ensuite, malgré les soucis techniques, le bateau a réussi à rentrer. Ca n’a pas été facile tous les jours… mais je suis très content d’être là, avec vous, aujourd’hui. »
Le secret de Joyon ?
– « Je ne sais pas si j’en ai un et quand on est fatigué, on peut vite devenir mystique, il faut faire attention ! (rires)… Peut-être que j’ai su respecter les éléments, avec un bateau qui ne polluait en rien, alimenté par des dispositifs écologiques. Peut-être que j’ai eu le respect de la mer et que c’est pour ça qu’elle m’a laissé passer. »
Le plus difficile ?
– « Le plus dur c’était les ascensions du mât pour tenter de réparer cette avarie sur la fixation du hauban, en particulier la première montée sur une mer croisée. J’étais très secoué, je n’arrêtais pas de me cogner au mât, c’était vraiment dangereux… »
Le routage de Jean-Yves Bernot ?
– « Jean-Yves a fait beaucoup de navigation en équipage. Parfois il dit : dans 24 heures tu es sensé être plus de 600 milles plus loin... Il met la barre un peu haut ! Lui, il réagit toujours sur 100% du potentiel. Il m’exprimait la capacité du bateau à être à tel ou tel endroit à une échéance, en fonction des champs de vent. Et ça m’incitait à y aller… »
Ellen MacArthur et Thomas Coville
– « Merci à eux aussi. Sans Ellen, le bateau n’aurait pas existé, car si elle n’avait pas repris ce record il y a trois ans, il n’y aurait pas eu de raisons d’y retourner. Grâce à Thomas, on a été appelés à faire un bateau le plus performant possible. Il a élevé l’exigence. »
Le bateau justement ?
– « C’est tout juste si je ne me suis pas fait tirer les oreilles par mes architectes qui m’ont dit que j’étais allé trop vite, que je n’avais pas respecté le programme du bateau (rires) ! Plus sérieusement, Nigel Irens et Benoît Cabaret ont fait un travail extraordinaire. Le bateau a une capacité incroyable à passer dans les vagues de manière harmonieuse. Je n’avais jamais connu ça auparavant et c’est aussi ce qui permet d’aller vite. Mais c’est toute une équipe… »
L’équipe
– « Les architectes, les constructeurs du bateau, des mâts, des voiles (qui rentrent sans aucune déchirure ni usure…) tous se sont donnés à fond. Je pense encore à Marsaudon Composites, à Christophe Houdet, tout le monde… Une équipe extraordinaire. Il y a eu beaucoup de passion, beaucoup de plaisir. C’est ce qui fait qu’IDEC est réussi. Et que c’est un super bateau. »
La confiance
– « Je pensais que la probabilité de battre le record était d’une chance sur trois ou quatre. Le simple fait de réussir à boucler un tour du monde en multicoque sans avarie et sans s’arrêter n’est même jamais gagné d’avance, avant de parler de record …. »
La Météo
– « Jusque dans l’Indien oui, c’était glisse et vents favorables, même s’il y a toujours les difficultés inhérentes à ce genre de parcours. Le Pacifique a été normalement difficile et l’Atlantique a été beaucoup plus difficile que la moyenne. Un moment, il faut sans doute payer quelque part les facilités que la nature nous a offert auparavant. C’est la remontée de l’Atlantique la plus laborieuse que j’ai jamais faite »
Pensé à l’abandon ?
– « A l’Equateur, après l’avarie sur le hauban, j’ai imaginé un moment aller dans l’archipel de Fernando de Noronha pour aller travailler dans le mât, mais c’était quand même à 400 milles… Au pire je serai reparti en course après un arrêt technique, mais je n’ai jamais imaginé abandonner. »
Le bilan du bateau propre, sans énergie fossile ?
– « J’avais des appareils qui dépensaient le moins possible. Un bateau, c’est comme une île et comme la planète : il faut protéger l’environnement mais aussi d’abord moins consommer les énergies non-renouvelables. Ca a très bien fonctionné, avec mes batteries toujours chargées à fond. Le bilan est extrêmement positif : 20 kg d’éolienne, 20 kg de panneaux solaires et 15 litres de méthanol pour la pile à combustible, c’est beaucoup plus léger qu’un moteur et tous ses litres de carburant. Et c’est une satisfaction de faire ça dans un bon esprit, en essayant d’avoir l’impact le plus réduit possible sur la planète. »
Le futur
– « J’essaierai probablement Cadix-San Salvador, des records dans le Pacifique et probablement tenter de reprendre celui des 24 heures à Sodeb’O.
Le bateau va vous manquer ce soir ?
– « Je ne vais pas en être loin très longtemps. J’ai monté la plupart des pièces moi-même, c’est une présence au quotidien… Je vais m’occuper de lui dès qu’il sera rentré à la Trinité. »
Info presse Mer&Média / www.trimaran-idec.com
Photo Benoît Sitchelbaut : www.stichelbaut.com