Sea, Sail & Surf news

Du grand large à la plage : Toute l’actualité des sports de glisse depuis 2000

Trophée Jules Verne

Ellen MacArthur : "Nous sommes de l’autre côté de la terre mais mon esprit est à Paris, à Londres, en Europe"

samedi 1er mars 2003Redaction SSS [Source RP]


EM : "Le soleil s’est levé ce matin à 1h00 GMT. Je ne sais pas trop dans quel fuseau horaire nous sommes en ce moment, ni même vraiment où je me trouve. Il y a 36 heures à peine, j’étais sur Kingfisher2 pour tenter de battre le Trophée Jules Verne. J’y suis toujours, mais dans un contexte bien différent.

Les gars sont maintenant en train de déjeuner. Il est 9h00. Nous sommes de l’autre côté de la terre mais mon esprit est à Paris, à Londres, en Europe. Allez Ellen, tiens bon, c’est ton boulot, resprire à fond, ne ferme pas les yeux, et concentre toi... bientôt tu pourras te reposer. Je suis restée éveillée pendant quasiment toute la nuit pour répondre aux interviews, et cela m’a semblé une éternité. J’étais si fatiguée. Je ne pouvais même pas garder les yeux ouverts. Tu sais que tu es vraiment fatigué quand tu te réveilles une heure après avec le téléphone toujours en main sans avoir la moindre idée des derniers mots que tu as prononcés...

Je me suis réveillée, des images plein la tête... Je me souviens de ces instants avant le lever du soleil, KINGFISHER2 sans connexion satellite, sans mât, et scotché péniblement aux vagues. J’ai alors repris mes esprits et je me suis souvenue être observée, je me suis souvenue... nos amis silencieux. Les albatros nous regardaient, s’approchant plus que jamais, en inspectant ce nouveau visiteur. J’imagine que la plupart des albatros n’ont jamais vu de bateau de leur vie. Les gens comme nous ne sont pas chose courante par ici. Ce matin nous avons entendu le cri d’un albatros. Ronny m’a dit que c’est vraiment très rare en mer. On aurait dit un cri de hibou, doux et aimable, presque bienveillant, comme s’il savait. Je n’en avais jamais vu de si près avant, je ne les avais jamais vus si curieux. Généralement, ils gardent leurs distances, mais plannent suffisamment près pour que l’on puisse voir leurs yeux perçants et leur beauté gracieuce. C’est la troisième fois que je navigue dans les mers du sud et je ne les ai jamais vu battre des ailes une seule fois. S’il est un luxe que nous avons aujourd’hui et que nous n’avions pas il y a quelques jours, c’est du temps. Nous en avons d’avantage maintenant, que lorsque nous progressions à vive allure...

Je pense que le plus blessant dans cette histoire Histoire #histoire , c’est que je ne suis jamais vraiment rentrée à fond dedans. Cela commençait à peine à venir quand le désastre a tiré un trait bien épais et définitif sur notre challenge. Je commençais seulement à me sentir plus à l’aise dans mon rôle, je commençais à découvrir une vie en dehors du poste de navigation, à trouver le temps de rire avec les gars, à arrêter de trop me soucier de la nav, à passer du temps sur le pont plus souvent. Je commençais à comprendre la personnalité de chacun et à me sentir plus à l’aise avec nos caractères et nos différences, notamment sous la pression que nous nous imposions. Je trouvais que nous avancions plutôt bien sur KINGFISHER2, que nous affichions de belles vitesses moyennes et rattrapions le record Record #sailingrecord sur Bruno Peyron. Du point de vue de la navigation, notre parcours fût difficile. Pas une fois sur les 26 jours de notre tentative, je n’ai trouvé les conditions assez faciles pour me détendre un peu sans retourner à la table à cartes pour étudier les photos satellite. Pas une fois, je n’ai cessé de me poser des questions... Est-ce qu’il vaut mieux descendre de 10 degrés ? naviguer avec le spinnaker ou le gennaker ? Toujours ces mêmes questions dans la tête, que je sois sur le pont ou en train d’essayer de dormir, ou même assise dans la cuisine en train de manger rapidement avec les gars. Quand on navigue en solitaire, la pression est un peu différente. Sans doute parce qu’en équipage, on a plus de temps pour s’inquiéter.

Bien que notre Jules Verne soit tout sauf un bouquet de souvenirs éclatants, nous avons maintenant un nouveau défi : ramener notre catamaran géant en Australie, à quelques 2000 milles devant nous. C’est une distance plus grande que celle parcourue par la majorité des gens en plusieurs années... Nous sommes toujours à plus de 50 degrés Sud et la température de l’eau est de 4 degrés. Voilà le genre de choses qui me donnent l’impression de n’appartenir à aucun fuseau horaire en ce moment. L’été autralien semble loin, très loin. Même si la vie est toujours rythmée par le sytème de quarts et que l’objectif est d’amener KINGFISHER2 d’un point A à un point B, l’émotion est voilée. Naviguer 2 semaines de plus est à la fois une blessure et une punition. Désormais pour le meilleur ou pour le pire nous avons le luxe d’avoir du temps, le temps de penser à ce qui nous est arrivé et de réaliser que la chose incroyable que nous étions en train d’accomplir s’est brutalement terminée. Soudain nous naviguons à petite vitesse Vitesse #speedsailing et sur un bateau sans energie.

Mon rôle à bord est très clair maintenant. Le rôle du skipper c’est de rester motivé et de motiver les autres, à 30 noeuds, comme à 3 noeuds, que l’on gagne ou que l’on perde, que l’on soit triste ou joyeux. Mon défi est donc loin d’être terminé...

Allez les gars... On n’est peut être pas tout prêt, mais on arrive !"

KINGFISHER2 a pris le départ de la tentative de Trophée Jules Verne le 30 janvier 2003 à 6h48mn39s GMT. Dimanche 23 février 2003 à 22h22 GMT, KINGFISHER2 démâtait après 24 jours, 15 heures et 34 minutes de mer et par 50 50’S et 72 08’E, à 100 milles dans l’est des îles Kerguelen dans l’océan Indien. Au moment du démâtage, KINGFISHER2 avait 20 heures d’avance sur le record Record #sailingrecord du catamaran Orange détenu par Bruno Peyron depuis mai 2002, et commençait à rattraper son retard sur Olivier de Kersauson, toujours en course sur la tentative de Trophée Jules Verne.

Information Kingfisher Challenges



A la une